Question de légitimité
est-ce ma place ?
Suis-je (bien) capable de recevoir adéquatement ce public ?
Versus
Ai-je le droit de consulter pour des besoins spécifiques ?
La question de la légitimité dans le secteur des soins de santé et dans le domaine psychosocial relève d’un double enjeu : pour les professionnel·le·s, celui de se sentir à la hauteur ; pour les personnes bénéficiaires, celui de se sentir autorisées à solliciter un accompagnement.
La patate chaude & la balle de flipper
“Je me sens dépassé·e à l’idée de proposer une prise en charge à des personnes issues des communautés LGBTQIA+. Je crains de dire ou faire quelque chose qui pourrait être mal interprété ou offensant. Je ne me sens pas suffisamment informé·e sur leurs réalités et j’ai peur de ne pas être à la hauteur. Je préfère orienter ces patient·e·s et leurs demandes vers des collègues dont j’imagine qu’iels ont une meilleure compréhension de leurs besoins spécifiques.”
“Les quelques fois où j’ai parlé de mon identité de genre à des professionnel·le·s de santé, je les ai senti·e·s perdu·e·s. Parfois, ça me décourage de réexpliquer ma situation et mes problèmes, puis de devoir tout recommencer avec une autre personne après m’être fait·e réorienté·e. Tout ça simplement parce que les pros ne se sentent pas à l’aise ou à côté de la plaque. Enfin, c’est ce que j’imagine. En tout cas, il y a une forme de gêne perceptible et je sens que ça bouscule ma confiance en moi et dans le système de soins.”
Entendre régulièrement des phrases telles que « Je ne suis pas compétent·e pour traiter ces problématiques, vous devriez chercher de l’aide ailleurs » ou « Je crains de ne pas pouvoir vous accompagner » peut avoir un impact dévastateur sur le sentiment de légitimité et participe à entretenir l’errance thérapeutique ou retarde la prise en charge. Ces expériences répétées de frustration, de lassitude, voire de rejet contribuent à un sentiment d’exclusion et de marginalisation dans le système de soins ou d’aide sociale. Pour beaucoup, cela aggrave encore le fardeau de la stigmatisation et de la discrimination au quotidien, ce qui nourrit le stress minoritaire* déjà rencontré par ces personnes.
*réalité psychologique souvent vécue par les personnes queers en raison de leur attirance sexuelle et/ou romantique ou de leur identité de genre. Il découle des multiples difficultés auxquelles elles sont confrontées, tels que la stigmatisation, la discrimination et le manque de compréhension sociale. La reconnaissance de ce phénomène est cruciale pour informer les professionnel·le·s de la santé mentale et la société dans son ensemble, afin de favoriser un soutien adapté et de créer des environnements inclusifs pour les personnes queers.
La peur de faire peur
“J’ai envie de soutenir tout le monde, y compris les personnes issues des communautés LGBTQIA+, mais la peur de les offenser ou de mal comprendre leur identité me freine. Il y a tellement de terminologies et de nuances à connaître… Je crains de poser des questions importantes de manière maladroite ou de ne pas être assez informé·e pour offrir le soutien approprié.”
“Je suis gêné·e et même peiné·e quand j’observe que mes interlocuteur·trice·s démontrent des signes de nervosité ou d’hésitation lorsque des questions en lien avec mon orientation sexuelle sont abordées. Je me sens bloqué·e, je n’ai pas envie de les mettre mal à l’aise, mais en même temps ça m’énerve de devoir dissimuler une partie de qui je suis pour ne pas embarrasser l’autre.”
Lorsque les professionnel·le·s démontrent des signes de nervosité ou de malaise, cela peut créer une barrière émotionnelle et engendrer un sentiment de distance voire de rejet pour les personnes queers. Cela compromet la confiance mutuelle et la capacité à partager ouvertement des expériences personnelles, et empêche la bonne alliance thérapeutique mobilisée dans toute relation d’aide.
L’effet de niche & l’arbre qui cache la forêt
“J’entends souvent des collègues qui pensent que se concentrer sur les problématiques spécifiquement rencontrées par des personnes issues des minorités relève de la « spécialisation de niche ». Pourtant, je vois quotidiennement dans mon cabinet à quel point ces questions sont cruciales et impactent la vie de mes patient·e·s.”
“Je n’ai pas l’impression qu’il faille être « expert·e de l’expertise » de l’identité ou de l’orientation sexuelle pour bien recevoir quelqu’un·e. Au final, ce qui compte vraiment, c’est la capacité à écouter, à être empathique et à traiter les problèmes comme ils sont et quels qu’ils soient. Je me sens à l’aise avec un·e thérapeute compétent·e dans son domaine, peu importe s’il connaît tous les détails de l’identité bisexuelle.”
Considérer que les problématiques LGBTQIA+ sont marginales renforce les stigmates sociaux et le sentiment d’isolement chez les personnes issues de ces communautés. Cela peut avoir des répercussions importantes et néfastes sur leur estime de soi, leur identité et leur capacité à s’accepter. De ce fait, cette population connaît des taux plus élevés de dépression, d’anxiété et de risques de suicide sans avoir un accès adéquat à des ressources de santé mentale qui tiennent compte de ses réalités spécifiques.
Aujourd’hui c’est ça, et demain… ?
“Je suis convaincu·e que cette vague de sensibilisation aux questions LGBTQIA+ n’est qu’un effet de mode passager. Pourquoi devrais-je investir mon temps et mes ressources pour me former à quelque chose qui, selon moi, ne restera pas pertinent sur le long terme. Demain, ça sera autre chose au cœur des préoccupations…”
“Parfois, quand j’évoque des données en lien avec mon identité queer, je perçois des signaux d’exaspération chez certain·e·s travailleur·euse·s sociales. De plus en plus, avec toutes les polémiques médiatiques autour de questions d’homophobie, de transphobie, et j’en passe, je ressens une forme de crainte de les ennuyer ou de les exaspérer en abordant des sujets qui, à leurs yeux, pourraient sembler temporaires ou superficiels.”
La croyance selon laquelle les problématiques liées aux questions LGBTQIA+ sont un « effet de mode », passagères ou encore superficielles démontrent (s’il le fallait encore) l’importance et la nécessité de sensibiliser, d’informer et de former sur le sujet afin de permettre une meilleure connaissance des enjeux mobilisés.
C’est déjà bon comme ça !
“J’ai fait de longues études, obtenu mon titre de psychologue, et je suis reconnu·e par mes paires. Il me semble que ça suffit pour accompagner qui que ce soit, c’est le principe de l’accès à la profession.”
“Quand je ressens chez mon interlocuteur·rice un manque d’intérêt, de curiosité bienveillante, je me demande si ce que je vis compte. Cela me fait aussi douter de l’accompagnement ou du soutien qu’iels pourraient m’apporter…”
Reconnaître et identifier ses propres limites et angles morts en tant que professionnel·le de la relation d’aide est fondamental pour offrir un accompagnement approprié aux personnes que l’on a en face de soi. C’est en prenant conscience de ses biais, préjugés ou manque de connaissances spécifiques, que l’on peut éviter de nuire involontairement aux personnes qui s’adressent à nous. L’acceptation de ses propres limites ouvre la voie à une attitude humble et ouverte, qui est une étape importante favorisant l’apprentissage continu et la recherche de ressources adéquates pour combler ces lacunes. Cela permet non seulement de garantir la qualité des services, mais aussi de cultiver un environnement de confiance et de respect pour tou·te·s.
Aïe… Ce n’est pas ma spécialité !
“Je suis psychologue, malheureusement pas sexologue. Ce n’est pas tant que ça ne m’intéresse pas de travailler avec la population LGBTQIA+, mais les questions de souffrance liées à la sexualité dépassent mon champ de compétence. Et les affaires de genre, je ne m’y retrouve pas !”
“Des fois, j’en ai marre que les gens mélangent tout. Ce n’est pas parce que j’appartiens à la communauté LGBTQIA+ que je viens consulter pour ça.”
Sexe, genre, attirance sexuelle et/ou romantique, expression de genre, ce sont autant de concepts différents appartenant davantage au domaine de la sociologie que de la sexologie. Les individus ne peuvent être réduit·e·s à des caractéristiques sociales, sans quoi ces préjugés, s’ils ne sont pas conscientisés, peuvent conduire à une prise en charge inadéquate et à un manque de soutien. De la même manière qu’une personne hétérosexuelle ne sollicite pas de l’aide uniquement pour des problèmes avec son/sa/ses partenaires, les personnes des communautés LGBTQIA+ consultent ou sollicitent un accompagnement pour des problèmes divers et non seulement liés à leur identité de genre ou leur attirance sexuelle et/ou romantique.
Que retient-on de tout cela ?
Pour moi, l’objectif est de rencontrer une personne. Je pense simplement qu’il faut être concerné·e par les autres pour travailler avec l’humain, et peu importe qui elle est. LA question c’est “comment faire alliance ?” et je me la pose avec tout le monde.
Un∙e professionnel∙le de la santé
Pour moi, ce qui compte le plus lorsque je consulte un·e professionnel·le de la santé mentale, ce n’est pas tant les titres ou les formations spécifiques sur les communautés LGBTQIA+ qu’iels pourraient avoir, mais plutôt leur attitude et leur manière d’être à mon égard. Ce qui m’a réellement aidé, ce sont les soignant·e·s qui m’ont accueilli avec bienveillance, qui ont pris le temps de m’écouter sans jugement et qui ont montré un réel intérêt pour comprendre ma situation. Peu importe leur expertise technique, c’est la qualité de leur écoute, leur ouverture d’esprit et leur empathie qui ont réellement fait la différence pour moi. Se sentir écouté·e, respecté·e et compris·e dans ma globalité en tant qu’individu a été bien plus précieux que toute expertise théorique.
Une personne des communautés LGTBQIA+
Dans le domaine des soins pour les communautés LGBTQIA+, la légitimité des professionnel·le·s fait l’objet de débats cruciaux pour mieux soutenir les patients. Certain·e·s soutiennent que partager une expérience similaire favorise une compréhension plus profonde. Par exemple, une personne transgenre racisée pourrait préférer consulter un·e thérapeute partageant ces identités pour se sentir mieux compris·e dans ses défis spécifiques.
Cependant, cette approche comporte des risques. Imaginez, si l’on exigeait que seul·e·s des professionnel·le·s LGBTQIA+ interviennent, cela risquerait de rallonger les listes d’attente pour les soins, freinant l’accès aux traitements nécessaires. Il existe aussi des préoccupations quant à la possible stigmatisation ou à la création involontaire de « ghettos » en regroupant uniquement les personnes LGBTQIA+ avec des spécialistes qui leur ressemblent.
D’un autre côté, certain·e·s estiment que des compétences d’empathie bien développées suffisent pour une compréhension adéquate. Par exemple, un·e thérapeute attentif·ve et ouvert·e, bien formé·e aux réalités spécifiques LGBTQIA+, pourrait apporter un soutien efficace et respectueux sans nécessairement partager les mêmes expériences.
Les opinions divergent et reflètent la diversité de notre société, chacun·e ses préférences, ses exigences et conforts particuliers. Retenons qu’il est important, dans une perspective de justice sociale, que les services psychosociaux proposés répondent à ces diverses requêtes afin d’assurer une offre inclusive et adaptée à tou·te·s.
Soulignons que, dans la relation d’aide, ni la personne accompagnée ni l’accompagnant·e ne sont ni supérieur·e·s ni inférieur·e·s ; l’empathie et le soutien doivent toujours prévaloir, sans distinction ni jugement.
Que mobiliser ?
Échangeons entre pairs
Que ce soit avec les collègues direct·e·s ou avec d’autres peersonnes du réseau professionnel, questionner et parler de ses pratiques permet de les observer avec hauteur et de les soumettre aux échanges critiques et constructives.
Osons y aller (et se planter)
Personne n’est parfait, c’est “normal” de commettre des erreurs au début d’un nouvel exercice, c’est une part importante de l’apprentissage. La tolérance (envers soi-même et les collègues) est de mise. L’important est de reconnaître ces erreurs et de les considérer comme des jalons permettant de s’améliorer.
Essayons, essayons et essayons encore
C’est en forgeant qu’on devient forgeron·ne nous dit le dicton. C’est pareil pour le sentiment de légitimité. Il n’y a qu’en se lançant, en accumulant de l’expérience, que l’on peut se sentir progressivement plus à l’aise.
Confiance en ses intentions
Si elles s’orientent vers un accueil des plus respectueux, une volonté de prise en charge la plus adéquate et proche de la personne, il y a peu de chance de faire de « gros » dégâts.
Systématisons une familiarisation
Pour chaque travailleur·euse et à chaque nouvelle embauche, veiller à ce qu’une initiation aux concepts de genre, de race, de classe mais aussi de variations en terme d’attirance, d’expression, de modes de relation (etc.) soit bien transmise.