Question de réflexes
changer les habitudes

Je vais devoir changer toute ma pratique alors ?
Versus
Je demande juste quelques ajustements, ce n’est pas la mère à boire !

L’on a beau dire, l’on a beau faire, nous sommes tou∙te∙s guidé∙e∙s par des réflexes qui guident de manière routinière notre quotidien : « Bonjour monsieur, merci madame », « comment va votre mari ? », « et vos enfants ? Vous en avez combien ? ». Ces habitudes sont façonnées par les normes sociales dominantes qui nous entourent, dans lesquelles l’on baigne depuis tout jeune. Le hic, c’est qu’involontairement, nos comportements réflexes, agissant comme des automatismes, peuvent blesser, exclure les personnes des communautés queer.

C’est comme ça et pas autrement : peur du grand chamboulement

“En tant que professionnel·le de la santé mentale, j’ai développé une approche, des techniques qui fonctionnent très bien. J’ai mes méthodes habituelles, mes façons de comprendre les patient·e·s. Devoir tout remettre en question, réfléchir à chacun de mes faits, modifier jusqu’à la manière dont je salue les gens me paraît déstabilisante et contraignante !”

“Récemment, j’ai discuté avec un·e professionnel·le qui semblait résister à modifier ses salutations ou à reconnaître l’existence des identités non-binaires. Plutôt que de me sentir découragé·e, cela a motivé chez moi l’envie de collaborer avec des personnes prêtes à expérimenter de nouvelles méthodes pour mieux répondre aux besoins de la communauté LGBTQIA+. Finalement, c’est une opportunité que de pouvoir co-créer des approches novatrices en santé mentale.”

Les professionnel·le·s développent des habitudes dans leurs pratiques, qui servent à la fois de cadre, mais aussi de touches personnelles. Beaucoup y sont attaché·e·s. Cela peut entraîner des résistances au changement, même lorsque celui-ci est motivé par des impératifs d’inclusion. Cela souligne également l’importance de trouver des approches flexibles qui permettent d’intégrer progressivement des ajustements pour favoriser une pratique plus inclusive.

Contourner l’obstacle pour éviter de trébucher

“Je suis consciente de l’importance de respecter les identités de genre, mais parfois, ça me semble trop compliqué. J’ai peur de faire des erreurs, alors je préfère éviter le sujet. C’est plus facile pour tout le monde, non ?”

“À mon sens, tourner autour du pot ou mettre la tête dans le sable n’a jamais servi à quoi que ce soit. À l’inverse, quand on ne questionne pas, on risque de passer à côté d’éléments importants. J’ai par exemple une amie qui est sortie de chez le gynéco avec une pilule contraceptive de laquelle elle n’avait absolument pas besoin étant lesbienne.”

Quand on perçoit un sujet comme étant sensible, quand l’on perçoit en soi une volonté de l’éviter, bien souvent c’est que ce sujet en particulier revêt une importance certaine. Dans le cadre d’un suivi psychomédicosocial, il est important de résister à la tentation de l’évitement. En effet, le risque est grand de manquer une information primordiale au bon suivi de la personne. La gêne ressentie est à considérer comme un indicateur qui peut nous alerter sur le fait que le sujet peut être sensible, qu’il nécessite d’être abordé avec attention et tact.

Encore faut-il trouver du temps

“Modifier tous les formulaires que j’utilise pour inclure des options non-binaires me semble un peu excessif. C’est une perte de temps.”

“Ça me fait doucement rire lorsque l’argument de la perte de temps est avancé pour éviter de changer ou d’adapter les pratiques administratives. La question du genre sur les formulaires, par exemple. Ça fait les gros titres des journaux, on en parle jusqu’au sénat, ça chipote et argumente de tous les côtés… Il est certain que s’il était question de code postal ou de convention pour les numéros de téléphone, les changements seraient déjà adoptés. Le vrai problème réside dans le questionnement sur l’identité de genre, pas sur une éventuelle perte de temps.”

Sous couvert de l’argument de la « perte de temps » se cache parfois une réticence à aborder la question de l’identité de genre. Cet obstacle souligne l’importance de reconnaître et de surmonter les barrières invisibles liées à la compréhension des identités de genre dans divers contextes, y compris l’administration et la documentation. La question fondamentale réside dans la volonté de remettre en question les normes établies et de créer des environnements plus inclusifs, au-delà des considérations de commodité ou de temps.

C’est plus fort que moi, ça me vient comme ça

“Ma collègue pourtant formée et très alerte sur les questions d’inclusivité m’a questionnée lors d’un partage de situation : “Tu avais déjà reçu Mme ou Mr en accueil ? ”. Il s’avère que le couple était lesbien, elle ne s’est pas rendu compte de l’hétéronormativité de sa question. Comme quoi, c’est un processus d’attention constante l’inclusivité !”

“Ce qui importe, c’est l’intention derrière les actions. Si quelqu’un·e fait une erreur, je préfère qu’iel le reconnaisse plutôt que de rester dans le silence. On a tou·te·s des automatismes, ça prend du temps de les changer, les modifier. C’est comme au théâtre, c’est à force de répétitions que ça finit par rentrer !”

Désapprendre prend du temps, peut-être même plus que l’apprentissage en tant que tel. En effet, nos automatismes sont bien souvent inconscients, ils se manifestent de manière spontanée et non réfléchie. Ce n’est qu’en essayant, insistant et répétant que nous pouvons les modifier. Cela signifie qu’il faut mobiliser de la patience, de la ténacité, mais aussi de l’indulgence vis-à-vis de soi-même. Des erreurs vont être commises, l’important est de les reconnaître et d’en faire quelque chose !

On a à peine le temps de s’y faire que ça change déjà

“J’ai l’impression que le vocabulaire LGBTQIA+ évolue à une vitesse fulgurante. Il y a quelques années, j’étais bien au fait des termes appropriés, mais maintenant, il semble qu’il y ait de nouveaux acronymes et des expressions différentes chaque semaine. Cela me plonge dans une certaine confusion, et je crains de blesser involontairement les patient·e·s en utilisant des termes qui étaient acceptables hier, mais qui ne le sont plus aujourd’hui.”

“Les habitudes ont la peau dure, tout le monde n’est pas encore ouvert à pouvoir les envisager autrement… Mais franchement, des fois, ça me désespère. Dès qu’on parle d’inclusivité LGBTQIA+, d’importance à accorder aux termes employés, les yeux se lèvent au ciel. Comme si c’était une nouvelle extravagance. Aujourd’hui tout le monde utilise ou comprend des mots comme smartphone, autrice, féminicide ou malaisant. Pourtant, il y a quelques années, ces mots paraissaient complètement incongrus !”

Dans notre monde en perpétuelle évolution, tout change et se modifie tous les jours de manière inéluctable. Quand une thématique gagne en visibilité et en intérêt, de nouveaux mots apparaissent pour en décrire les concepts. Cette réalité n’est pas propre aux questions LGBTQIA+, pensons par exemple aux domaines de l’écologie ou des nouvelles technologies. Utiliser le vocabulaire adéquat permet de visibiliser les choses, les mots sont importants, ils revêtent une dimension politique en permettant d’ancrer une réalité. Ici encore, comme dans l’apprentissage de nouvelles compétences ou la découverte d’un nouveau champ d’action, patience et intérêt sont de mise pour intégrer petit à petit les nouvelles notions.

Je dois faire quoi avec qui alors ?

“Je réalise que je me pose beaucoup de questions… Les identités de genre et les orientations sont diverses et multiples, est-ce que je dois adapter mes manières d’agir à chacune de ces diversités ? Comment je peux savoir de quelle manière m’adresser au mieux à chacun·e ? À qui je dois m’adresser comment ? Franchement, je m’y perds…”

“Selon moi, lorsque nous faisons appel à des soins spécifiques dans nos revendications, le souhait n’est pas d’avoir des approches distinctes pour chaque lettre de l’acronyme. Non, l’idée serait plutôt de permettre aux individus de se présenter tels qu’iels sont. L’autodétermination, c’est la possibilité de se décrire soi, véritablement et sincèrement, et d’être considéré·e comme tel·le sans être limité·e par des stéréotypes ou des attentes préconçues.”

L’idée est de pouvoir rejoindre la personne dans ses besoins et là où elle en est. C’est-à-dire adapter la réponse, le soin fourni, le service proposé à la demande, aux spécificités de sa situation. Cela rejoint par ailleurs les évolutions sociétales actuelles qui nous dirigent vers des manières de faire, des propositions de service visant à correspondre toujours mieux aux particularités de chacun·e : c’est la différence notoire entre l’égalité (même chose pour tou·te·s) et l’équité (offre adaptée au [x] besoin(s) précis de la personne).

Que retient-on de tout cela ?

Modifier des comportements, ce n’est pas quelque chose qu’on fait juste comme ça, du jour au lendemain. C’est un vrai challenge. Mais c’est tellement important. C’est en reconnaissant d’où viennent ces réflexes et en faisant attention à notre langage, que l’on peut créer un environnement plus accueillant pour les personnes que l’on reçoit. Et oui, on fait des erreurs en chemin, mais l’important c’est de les reconnaître et de s’améliorer.
Un∙e professionnel∙le de la santé

Quand je suis en contact avec des pros qui font des boulettes, ce que j’apprécie c’est qu’iels les reconnaissent. Parfois même sur le ton de la blague. L’important c’est qu’iels essaient de s’améliorer, alors ça passe ! C’est vrai que le changement peut être dur au début, mais c’est comme beaucoup de chose, faut se lancer !
Une personne des communautés LGTBQIA+

La déconstruction des réflexes et automatismes hétéronormatifs requiert une attention particulière envers plusieurs aspects cruciaux.

Tout d’abord, il est impératif de reconnaître que ces automatismes sont souvent enracinés dans des normes culturelles profondément ancrées. En prêtant attention à l’origine de ces réflexes, les professionnel·le·s peuvent mieux comprendre les forces systémiques qui les sous-tendent.

Ensuite, l’attention portée aux pratiques linguistiques est essentielle. Les mots ont un pouvoir significatif dans la construction des perceptions et des expériences. En prêtant une vigilance particulière à l’utilisation d’un langage inclusif et respectueux, les professionnel·le·s contribuent activement à la déconstruction des normes hétéronormatives, favorisant ainsi une communication plus ouverte et respectueuse au sein des services de santé mentale.

La déconstruction des automatismes hétéronormatifs représente une gymnastique mentale nécessaire, et il est normal de se tromper en cours de route. L’essentiel réside dans la reconnaissance de ses erreurs et la volonté de s’excuser.

Cependant, il est crucial de trouver un équilibre, évitant de le faire exagérément ou de dramatiser ses maladresses. Ce processus d’apprentissage continu permet de créer un environnement où le respect des individualités est au premier plan, favorisant ainsi l’autodétermination.

Les changements et l’autodétermination offrent des bénéfices notables pour tou·te·s. En l’encourageant, on promeut un plus grand respect des individualités, contribuant ainsi à une atmosphère inclusive. Bien que la résistance aux changements soit une réaction humaine naturelle, il est important de reconnaître que l’inconfort initial est temporaire et souvent nécessaire pour le progrès vers une pratique plus inclusive.

L’apprentissage continu et les rappels réguliers jouent un rôle crucial dans la modification des comportements inconscients. Les professionnel·le·s doivent être ouvert·e·s aux retours de leurs pairs, permettant ainsi des ajustements progressifs et une amélioration constante. Cette approche favorise une évolution collective vers des pratiques plus inclusives, renforçant l’idée que la déconstruction des automatismes est un exercice mental dynamique, enrichi par une culture d’apprentissage et de partage continu.

Que mobiliser ?

Adaptons notre langage
A force de répétition, l’on peut transformer l’exceptionnel en automatisme. Parmi les trucs et astuces à mettre à place, plusieurs éléments peuvent être aisément testés au quotidien.
Ne pas genrer directement lors d’un contact : éviter les « monsieur » ou « madame », utiliser des formules courtes comme « bonjour », « bienvenue », etc.
Favoriser l’utilisation de termes épicènes : « tout le monde », « la personne », « bienvenue à vous », etc.
Systématiser la demande du pronom de la personne : demander le pronom choisi par chaque personne dès le début de l’interaction. Cette pratique contribue à respecter l’identité de genre de chacun·e.
Employer les termes, pronoms, accords utilisés par la personne elle-même.

Corrigeons-nous avec élégance
Tout le monde peut faire des erreurs dans le processus de déconstruction des automatismes. Lorsque c’est le cas, souligner la bonne prise en compte de la maladresse. Par exemple : « Merci de me le faire remarquer, je vais m’adresser à vous différemment » ou « Désolé·e, je me suis mal exprimé·e ».

Evitons de genrer les objets
« Toilettes pour dames » ou « préservatif masculin », est-ce bien nécessaire ? Poser un genre sur ce type de choses renforce une approche binaire (il y a des hommes et des femmes, point) et contraint les personnes à s’insérer dans ces deux uniques cases (qui ne correspondent pas toujours !)

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