Définition
C’est la face la plus méconnue des mécanismes de violence conjugale et domestique. Il n’existe que peu de ressources francophones sur le sujet, alors même que de nombreux témoignages de personnes révèlent combien cette violence est commune. Elle se manifeste par un contrôle financier puissant, de la manipulation et de l’exploitation des ressources économiques du ou de la partenaire. L’isolement économique permet de renforcer encore l’impuissance et le manque d’autonomie de la personne victime.
BRIBES DE Récits
« Très vite après notre rencontre, mon ex-conjoint m’a encouragée à lâcher mon boulot. Je ne m’y épanouissais pas et je m’y rendais avec les pieds de plombs. Il me traitait comme une princesse me couvrait d’attentions, il répétait qu’il voulait que je sois bien… Il n’a pas fallu me convaincre très longtemps. Au fur et à mesure du temps, j’ai puisé dans mes économies et je devais lui demander de l’argent pour pouvoir faire les courses domestiques, mais aussi pour m’acheter des sous-vêtements, me rendre chez le dentiste, etc. Parfois, il me le refusait. C’était humiliant ! »
« Nous avions un compte commun et nos deux salaires étaient versés dessus. Il gérait nos finances et nos économies. Il prélevait des sommes pour les répartir selon des postes déterminés par lui, je ne pouvais rien décider. À notre séparation, il n’y avait presque plus rien sur nos soi-disant réserves. Il m’a volé mon salaire durant presque cinq ans. »
UN PEU DE RECUL
À l’instar des autres formes de violences (physique, sexuelle, verbale, psychologique, cyberviolence, administrative), la violence économique évolue selon une gradation allant en s’empirant d’un point de vue emprise et perte d’autonomie. Il n’est pas rare que cette forme de maltraitance se poursuive même après la séparation, affectant le bien-être financier de la conjointe et des enfants et empêchant une « remise à flot » sereine après la séparation.
Exclusion : l’un·e des conjoints est exclu·e progressivement des décisions financières importantes. Cela peut-être amorcé comme une manière « d’aider l’autre », de prétendre à soulager une certaine forme de gestion.
Contrôle : les relevés de compte sont épluchés, les dépenses analysées. Les rentrées de revenus du conjoint marquant son emprise sont dissimulées, cachées à la personne contrainte. Celle-ci perd progressivement l’accès libre aux comptes courants du ménage, ses possibilités à (co) gérer le budget du ménage diminuent.
Ingérence : la personne victime de violence économique n’a plus accès qu’à des montants fixés par l’autre, souvent une somme « argent de poche » insuffisante pour subvenir aux différentes dépenses. Peu à peu, l’accès aux ressources financières nécessaires pour les soins de santé, d’habillement, s’amenuise. L’accès aux comptes et aux cartes est souvent, à ce stade, complètement restreint.
Exploitation : des ressources (salaire, allocations, aides sociales), des biens familiaux (héritages), voire même de l’identité et de la personnalité juridique de la personne contrainte. Dans ce type de situation, la main mise est quasi-totale. Cela peut aller jusqu’à des contraintes de signer des documents d’achats ou de ventes, d’ouvrir des prêts à la consommation en son nom, de prêter son nom pour monter des sociétés, etc.
Des pistes pour agir
Dans une société où l’argent reste une question taboue, difficile à aborder tant en couple que dans les cercles sociaux plus intimes (familial, amical), les violences économiques progressent et s’insinuent sournoisement. Il est important d’en connaître les mécanismes afin de pouvoir les repérer et s’en défaire, pour soi comme pour ses proches.
Préserver son indépendance financière: faire en sorte de garder une part à soi, des finances personnelles permettant une forme d’autonomie. Personne n’a le droit d’empêcher qui que ce soit d’accéder à ses ressources financières. S’assurer de bien comprendre les documents que l’on signe, veiller sur ses comptes pour y repérer les mouvements suspects, garder les preuves des transactions abusives, changer les mots de passe et moyens d’accès aux comptes en ligne… autant de moyens de se protéger des abus possibles.
Identifier les réflexes financiers: reconnaître les rapports entretenus vis-à-vis de l’argent selon chacun·e. En fonction de son histoire familiale, de ce qui a été transmis par les parents (en termes d’éducation, mais aussi de biens, de patrimoines), les rapports à l’argent diffèrent beaucoup selon les personnes. Certaines sont davantage radines, d’autres ne peuvent s’empêcher de vite dépenser lorsqu’elles ont de l’argent, d’autres encore nourrissent une aversion quant à une gestion budgétaire. Identifier ses propres rapports permet de les mettre en dialogue, de se connaître et de pouvoir réagir aux mieux dès que des dysfonctionnements sont perçus.
Communiquer autour de l’argent: parler de vos questionnements, de vos doutes. Dans le couple, mais aussi avec les ami·e·s, c’est un moyen précieux de comparer les fonctionnements, d’ajuster les pratiques (si nécessaire), mais aussi de pouvoir déceler des comportements à l’argent relevant des violences économiques.
Contacter des professionnel·le·s en cas de suspicion : s’adresser à des personnes compétentes et formées pour se faire accompagner et conseiller en cas de doute de violences économiques. Cela peut-être via les Centres de Planning Familial qui disposent de juristes et d’assitant·e·s sociales, ou directement dans des centres d’accompagnement pour les questions de violences, tel que le CVFE par exemple.
Un peu d’inspiration…
- À écouter : Épisode 2 : Les violences économiques et conjugales, coûts et coups, Voxfemmes, 7 octobre 2021, disponible en ligne.
- À lire : Violence économique et conjugale : outils et prévention, Global Thinking Foundation, Paris, 2019, disponible en ligne.